Avis de la Province dominicaine de Toulouse
sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG

Le 24 janvier 2024, un projet de loi constitutionnelle sera débattu à l’Assemblée nationale sur la liberté de recourir à l’IVG [1]. La formulation retenue, après avis consultatif du Conseil d’État [2], est la suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

Quel est, pour le gouvernement, le bien de cette réforme ? Celui-ci « souhaite consacrer dans la Constitution une nouvelle liberté fondamentale [3] ». Il s’agit d’empêcher toute « remise en cause » législative possible [4] et de garantir, par ce moyen, l’accès des femmes à l’IVG, jugé encore insuffisant [5].

 

NB : Pour « lutter contre les difficultés d’accès à l’avortement », un décret récent autorise les sages-femmes à pratiquer, comme les médecins, l’IVG instrumentale (aspiration de l’œuf) jusqu’à 16 semaines d’aménorrhée, soit 14 semaines de grossesse, dans les établissements de santé [6]. Depuis 2016, les sages-femmes ont le droit de réaliser des IVG médicamenteuses (abortifs chimiques).

 

Quelles seraient les conséquences ?

1) L’inscription dans la Constitution de la liberté d’avoir recours à l’IVG contribuerait à éclipser un peu plus encore l’existence de l’enfant à naître : « L’interruption volontaire de grossesse est présentée, dans la loi Veil, comme une exception au principe du respect de la vie dès son commencement (article 1er loi 1975). À défaut, la liberté d’avoir recours à l’IVG éclipserait l’existence de l’enfant à naître et pourrait emporter des effets en chaîne néfastes à la protection de la femme et de l’enfant [8]. »

2) Il deviendrait très difficile voire quasiment impossible d’abroger les lois sur l’avortement ou produire des textes législatifs destinés à limiter les préjudices de celles-ci et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique.

3) Cette loi pourrait entraîner à terme une limitation de la liberté de conscience : la clause de conscience [9] d’après laquelle « un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse » et « les soignants ne sont jamais tenus d’y concourir [10] » ne risquerait-elle pas d’être considérée comme un obstacle pratique à la liberté d’avorter qui, en raison de sa constitutionnalité, serait d’un niveau égal au principe de la liberté de conscience [11] ?

4) Elle pourrait aussi entraîner à terme une limitation de la liberté d’opinion et d’expression. La loi du 20 mars 2017 avait étendu le délit d’entrave à l’IVG mais elle avait précisé « que la seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation au sens des dispositions contestées [12]. » Cette précision ne sera-t-elle pas menacée ? Pourra-t-on encore dire que l’avortement n’est pas un bien, parce qu’il consiste à supprimer un être qui, dès sa conception, n’est pas une partie du corps de la femme, mais un être vivant distinct d’elle, comme le prouvent le patrimoine génétique humain qui lui est propre et le fait qu’il se nourrisse et grandit naturellement ? Pourra-t-on encore évoquer la possibilité de confier à l’adoption l’enfant qu’une femme ou un couple ne voudraient et/ou ne pourraient pas garder ?

4) Cette réforme risquerait de donner au Conseil d’État un rôle toujours plus déterminant pour juger, de manière jurisprudentielle, des conflits entre les libertés [13]. Plus encore, le Conseil constitutionnel pourrait être amené à examiner les dispositions prévues dans la loi (comme la clause de conscience, par exemple) au regard de la constitution révisée et les remettre en cause.

Que faire ?

1) Se former soi-même et informer les autres sur la nature des IVG et des IMG, sur leurs conditions pratiques, sur leurs conséquences physiques, psychologiques et morales, de manière constructive et pacifique, en ayant à l’esprit que l’avortement est vu par ceux qui le défendent comme un bien, un progrès social et la seule issue possible dans des situations de très grande détresse.

2) Manifester pacifiquement son opposition à ce projet de loi, en relayant, par exemple, cet avis d’information sur les réseaux sociaux, en signant des pétitions (nationales et internationales [14]), en participant ou en organisant des manifestations publiques dans le respect des lois.

3) Écrire au député de sa circonscription pour l’alerter contre les dangers de ce changement cette loi : https://www2.assemblee-nationale.fr/recherche-localisee/formulaire

4) S’engager à promouvoir et soutenir l’accompagnement des femmes enceintes et des couples en difficulté [16].

5) enfin et surtout prier pour tous ceux qui, à des titres divers, sont concernés par cette question : les personnes qui envisagent l’avortement ou l’ont réalisé, ceux qui soutiennent ce projet de loi et les députés et les sénateurs qui vont le discuter. Il ne faut pas non plus oublier de confier à la miséricorde divine les enfants avortés et donc morts sans baptême (cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n°1261).

Pour guider la réflexion et la discussion :

Catéchisme de l’Église catholique, n°2271 : « La vie humaine doit être respectée et protégée de manière absolue depuis le moment de la conception. Dès le premier moment de son existence, l’être humain doit se voir reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels le droit inviolable de tout être innocent à la vie. »

Conférence des évêques de France : « Le commandement biblique Tu ne tueras pas inscrit dans toutes les consciences, au-delà de celles des seuls croyants, signifie que tout être humain est confié à la sollicitude de tous les autres. Nous ne devons pas affaiblir la force d’un tel repère. Ces enfants à naître, nous en sommes d’une certaine façon tous responsables. Ainsi, le vrai progrès réside dans la mobilisation de tous, croyants et non-croyants, pour que l’accueil de la vie soit davantage aidé et soutenu. La vraie urgence est d’aider au moins les couples ou les femmes qui, aujourd’hui, n’ont pas réellement le choix et estiment ne pouvoir garder leur enfant en raison des contraintes sociales, économiques, familiales qui pèsent sur eux ou sur elles, et trop souvent sur les femmes seules [17]. »

Clotilde Brunetti-Pons : « [Quant à l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la constitution] : les femmes, tout d’abord, y perdraient. La libéralisation de l’IVG en 2001 et 2022 a ainsi conduit à supprimer les entretiens et l’assistance qui accompagnaient la prise de décision. Le plus souvent, l’IVG est subie, et l’après, douloureux. L’absence de soutien face à l’acte peut se révéler dévastatrice. La dynamique des libertés individuelles relève avant tout du discours et néglige les réalités concrètes dont il ne faut pas pour autant cesser de tenir compte dans une optique de protection. Enfin, constitutionnaliser l’IVG propulserait dans le monde une image des femmes que peu d’entre elles souhaitent renvoyer. Les répercussions sur le statut de l’enfant à naître seraient difficiles à endiguer. La protection de la liberté d’avoir recours à l’IVG étant déjà effective et protégée par la jurisprudence constitutionnelle, l’inutilité de la démarche souligne la dimension politique de la réforme dont la portée symbolique aurait, outre des retombées juridiques redoutées, un retentissement sociétal d’autant plus grand qu’il serait recherché. L’un des progrès majeurs de la fin du xxe siècle consista à protéger juridiquement la personne de l’enfant quelles que soient les circonstances de sa naissance. (…) Placer l’interruption de grossesse dans la norme suprême, a fortiori sans contrepoids, situerait l’enfant à naître à la traîne dans l’échelle des valeurs et ne tirerait pas les conséquences de sa nature humaine [18]. »

Jean-Marie Le Méné : « Si l’avortement semble pouvoir rejoindre facilement le socle de nos valeurs suprêmes, c’est qu’il repose sur un mensonge inaugural : avant la naissance, il n’y aurait pas d’enfant et donc l’avortement ne tuerait personne. Cette fiction pour éviter l’accusation d’homicide est démentie dans la vraie vie puisqu’après une interruption médicale de grossesse (IMG) l’enfant peut être inscrit à l’état-civil et sur le livret de famille. Il faudrait qu’on nous explique comment l’État peut enregistrer la mort d’un enfant avorté que l’avortement n’aurait pas tué. Vivant il n’était rien, avorté il devient un enfant. Pour l’IVG, le déni est total. L’enfant n’existe ni avant, ni après [19]. »

Pour aller plus loin :

https://www.genethique.org/themes/ivg-img/
https://www.fondationlejeune.org/produit/manuel-de-recherche-sur-lembryon-humain/
https://eclj.org/abortion?lng=fr
https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20081208_dignitas-personae_fr.html

[1] https://www.vie-publique.fr/loi/292357-liberte-recours-livg-dans-la-constitution-avortement-projet-de-loi

[2] Avis consultatif du Conseil d’État, no16 : https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-constitutionnelle-relatif-a-la-liberte-de-recourir-a-l-interruption-volontaire-de-grossesse

[3] Avis consultatif du Conseil d’État, no5 : https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-constitutionnelle-relatif-a-la-liberte-de-recourir-a-l-interruption-volontaire-de-grossesse

[4] https://www.vie-publique.fr/loi/292357-liberte-recours-livg-dans-la-constitution-avortement-projet-de-loi

[5] Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme publié au Journal Officiel le 4 octobre 2023 : « La CNCDH est consciente des difficultés encore éprouvées par un trop grand nombre de femmes pour accéder en pratique à l’IVG : les tensions dans l’approvisionnement de pilules abortives, mais aussi les disparités en fonction de l’origine sociale des femmes, de leurs conditions de vie, de leur lieu de résidence, ou encore le refus par certains médecins de pratiquer un avortement au nom de la clause de conscience. »

[6] Décret n°2023-1194 du 16 décembre 2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048573657

[7] Manuel de bioéthique, Fondation Jérôme Lejeune, 2014, p. 13 [Ce schéma doit être actualisé car l’IVG, à la suite de la loi du 2 mars 2022, a été étendu jusqu’à la 16 SA après le 1er jour des dernières règles.] Une nouvelle version de ce manuel est disponible depuis 2023.

[8] Clotilde Brunetti-Pons, « Attention aux répercussions sur le statut de l’enfant à naître », La Croix, publié le 20/11/2023. Disponible sur : https://www.la-croix.com/debat/IVG-constitution-Attention-repercussions-statut-lenfant-naitre-2023-11-20-1201291534

[9] Celle-ci est régulièrement menacée d’être supprimée, comme en témoignent les propositions de loi de Mme Laurence Rossignol en 2018 ou de Mme Albane Gaillot en 2022. Cf. https://www.genethique.org/la-clause-de-conscience-seule-rescapee-de-la-loi-gaillot/  

[10] Article L. 2212-8 du Code de la santé publique : « Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L. 2212-2. Aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse. Un établissement de santé privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans ses locaux. Toutefois ce refus ne peut être opposé par un établissement de santé privé habilité à assurer le service public hospitalier que si d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux. Les catégories d’établissements publics qui sont tenus de disposer des moyens permettant la pratique des interruptions volontaires de la grossesse sont fixées par décret. » https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033865551/2022-01-28

[11] En France, la liberté de conscience n’est pas inscrite dans la Constitution mais elle fait partie des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), qui sont des principes dégagés par le Conseil constitutionnel français et par le Conseil d’État, qui figurent dans le bloc de constitutionnalité. Cf. https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/la-liberte-de-conscience

[12] Loi du 20 mars 2017 : https://www.vie-publique.fr/loi/20989-ivg-extension-du-delit-dentrave-linterruption-volontaire-de-grosses

[13] Le Conseil d’État est conscient de ces risques puisqu’il en a discuté. Au 7 décembre 2023, il était d’avis que le projet actuel n’entraînait pas en soi une menace pour les autres libertés. Mais ce n’était qu’un avis : « Le Conseil d’État considère que, par elle-même, l’inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ainsi que la liberté d’expression. » Avis consultatif du Conseil d’État, no14 : https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-constitutionnelle-relatif-a-la-liberte-de-recourir-a-l-interruption-volontaire-de-grossesse

[14] Par exemple : https://eclj.org/abortion/un/pour-la-protection-de-toute-vie-humaine

[15] https://enmarchepourlavie.fr/2023/11/marche-pour-la-vie-2024/

[16] Il est bon de connaître, de faire connaître et de soutenir les associations : 1) qui informent en matière bioéthique, comme la Fondation Jérôme Lejeune (https://www.fondationlejeune.org/); le site Généthique (https://www.genethique.org) ou le Centre dominicain d’éthique et de vie spirituelle (https://centredominicain.com/) ; 2) qui hébergent des femmes enceintes en difficulté, comme Magnificat-Accueillir la vie (https://www.magnificat.asso.fr), La Maison de Rosalie (https://maisonderosalie.fr/) ; la maison de Marthe et Marie (https://www.martheetmarie.fr/) ; La Maison de Tom Pouce (https://lamaisondetompouce.com/), etc. ; 3) qui proposent une écoute téléphonique, comme Agapa, Mère de Miséricorde, SOS-bébé, Écoute IVG… Pour une présentation de ces diverses associations : https://fr.aleteia.org/2022/06/28/avortement-ces-associations-qui-viennent-en-aide-aux-femmes-en-detresse/

[17] « Déclaration des évêques de France au sujet de l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution », publiée le 08/11/2023. Disponible sur : https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/cef/assemblees-plenieres/assemblee-pleniere-de-novembre-2023/545935-toute-vie-est-un-don-pour-ce-monde-declaration-des-eveques-de-france-au-sujet-de-linscription-de-la-liberte-davorter-dans-la-constitution/

[18] Clotilde Brunetti-Pons, « Attention aux répercussions sur le statut de l’enfant à naître », La Croix, publié le 20/11/2023. Disponible sur : https://www.la-croix.com/debat/IVG-constitution-Attention-repercussions-statut-lenfant-naitre-2023-11-20-1201291534

[19] Jean-Marie Le Méné, « Constitutionnalisation de l’IVG : ‘‘Cette idéologie qui n’a que la mort à offrir en partage’’ » Journal du dimanche, publié le 11/12/2023. Disponible sur : https://www.lejdd.fr/societe/constiutionnalisation-de-livg-cette-ideologie-qui-na-que-la-mort-offrir-en-partage-140312